À l’heure actuelle, le terme d’ulcère de Marjolin décrit le plus précisément la dégénérescence maligne d’une lésion cutanée inflammatoire chronique, indépendamment de l’origine de la lésion ou du type de cancer qui se développe dans la lésion3,4. Soixante et onze pour cent des ulcères de Marjolin se développent sous la forme d’un carcinome épidermoïde, bien que le carcinome basocellulaire, le mélanome, le fibrosarcome, l’angiosarcome, le liposarcome, le léiomyosarcome, l’ostéosarcome, le dermatofibrosarcome protuberans, l’histiocytome fibreux malin, le schwannome malin et la tumeur mésenchymateuse aient également été identifiés17. Selon Bozkurt et al18, la plaie peut également se présenter sous la forme d’une hyperplasie pseudo-épithéliomateuse.Lorsque l’ulcère de Marjolin se présente sous sa forme spinoïde, il s’agit d’une tumeur maligne très agressive mais qui ne constitue que 2 % de tous les carcinomes spinoïdes19.
Les ulcères de Marjolin mettent généralement des années à se développer bien que, à l’occasion, une apparition aiguë ait été documentée.20 La latence a été décrite comme le temps écoulé entre la blessure initiale et la confirmation d’un diagnostic pathologique d’ulcère de Marjolin.6 La période de latence varie, mais de nombreuses études font état d’au moins 2-3 décennies entre la blessure et la transformation maligne.3,6,18 Les ulcères de Marjolin peuvent être classés comme aigus ou chroniques,21 la transformation maligne qui a lieu dans les 12 mois suivant la brûlure étant considérée comme aiguë.2,21 Bien que l’écrasante majorité soit constituée de carcinomes spinocellulaires, le carcinome basocellulaire est relativement plus fréquent dans la transformation aiguë2 et dans les cicatrices résultant d’une brûlure superficielle.5 On pense qu’il existe une relation inverse entre la période de latence et l’âge du patient au moment de la brûlure, les patients plus âgés ayant une période de latence plus courte.7 Le rapport de Baskara et al20 qui décrit le développement d’un ulcère de Marjolin chez une personne de 72 ans dans les 9 mois suivant un ulcère de pression plantaire fournit une certaine validation de cette prémisse.
Le mécanisme exact du développement de l’ulcère de Marjolin dans les brûlures ou d’autres types de plaies n’a pas encore été défini,2,6,8 mais il est probablement multifactoriel, affecté par des facteurs environnementaux et génétiques.4 Les facteurs clés du développement des ulcères de Marjolin semblent être un processus de cicatrisation lent et une instabilité chronique du tissu cicatriciel.8 Les ulcères de Marjolin ont tendance à privilégier les endroits où il y a un traumatisme constant ou un approvisionnement en sang compromis.8 Il a été suggéré que dans la plaie chronique, la diminution de la vascularisation combinée à l’affaiblissement de l’épithélium crée une susceptibilité aux carcinogènes.6 Il a également été proposé que l’avascularisation relative du tissu cicatriciel conduise à un état immunologique localement déprimé ou à un site immunologiquement privilégié, laissant l’organisme sans réponse à médiation cellulaire adéquate.22 La libération de toxines par la lyse du tissu cicatriciel peut avoir un effet mutagène direct sur les cellules.4,8 Les mutations du gène p53 et du gène Fas peuvent perturber l’apoptose régulée et l’homéostasie cellulaire, respectivement, et ont été identifiées chez les patients atteints d’ulcères de Marjolin.23,24 L’irritation chronique et les tentatives répétées de guérison constituent un stimulus prolongé pour la prolifération cellulaire et peuvent augmenter le taux de mutations spontanées.4 Les preuves à l’appui de cette théorie sont représentées dans de nombreux cas d’ulcère de Marjolin survenant dans des zones de la peau qui ont été exposées à une irritation à long terme,4,18,20 y compris des zones où les vêtements peuvent causer un traumatisme. Ces résultats appuient l’idée que l’irritation chronique est un facteur incitatif.18
L’ulcère de Marjolin peut être suspecté sur la base d’un ulcère qui ne guérit pas dans une zone de peau anormale ou cicatrisée.8 Cependant, la suspicion doit être confirmée par l’interprétation pathologique d’échantillons de biopsie tissulaire prélevés à plusieurs endroits de l’ulcère et de ses marges afin de minimiser les résultats faussement négatifs.3,8 Une procédure de biopsie standardisée impliquant une biopsie d’excision qui est limitée par la taille du néoplasme a été proposée.18 Cette procédure de biopsie peut augmenter le pourcentage de diagnostic correct de la tumeur mais une étude plus ciblée peut être nécessaire pour déterminer le nombre minimum de biopsies requises.18 De plus, l’utilisation de l’IRM s’est avérée utile pour déterminer le degré d’invasion des tissus mous des ulcères de Marjolin sur les extrémités18 et l’étendue de la destruction osseuse et de la réaction périostée.13
Le type de tumeur,8 la localisation,2 et le taux de métastases8 affectent le pronostic. La localisation de la tumeur est un facteur pronostique clé influençant les métastases, et les taux de métastases par ordre décroissant de localisation des ulcères les plus susceptibles de métastaser sont les extrémités inférieures, le tronc, le cuir chevelu, le visage, le cou et les extrémités supérieures.2 Les ulcères de Marjolin ont tendance à être plus agressifs que d’autres formes de cancer de la peau.6 Dans une revue de Kerr-Valentic et al,6 le taux métastatique global des ulcères de Marjolin était d’environ 27,5 %. Le taux de métastases dans les ulcères de Marjolin survenant dans les ulcères de pression a été répertorié comme pouvant atteindre 61 %, un taux beaucoup plus élevé que celui résultant des cicatrices de brûlure (38 %) et de l’ostéomyélite (14 %).12 La survie globale des patients atteints de l’ulcère de Marjolin est de 65 % à 75 % 3 ans après le diagnostic, mais tombe à 35 % à 50 % si la maladie métastatique est détectée à la présentation.25 Une adénopathie régionale palpable prédit le décès dans les 2 ans.2
Une excision locale large et la couverture de la plaie par une greffe de peau ou des lambeaux est le traitement de choix.6,18,26 Actuellement, il n’existe pas de consensus universel ou de protocole de traitement concernant les marges d’excision, la dissection des ganglions lymphatiques ou l’utilisation d’une radiothérapie ou d’une chimiothérapie néoadjuvante.8 Une combinaison de ces procédures est souvent nécessaire.8 Sur la base de leur examen, Bozkurt et al18 ont trouvé un très faible taux de récidive lorsque des marges de 3 cm-5 cm étaient obtenues. L’amputation peut être nécessaire dans les lésions des extrémités en cas d’invasion des principales structures neurovasculaires,19 lorsque des marges chirurgicales adéquates ne sont pas possibles, ou en cas de récidive agressive.6 Chez les patients présentant une maladie métastatique inopérable, il est documenté que la radiothérapie et la chimiothérapie adjuvantes peuvent également être utiles.4 La lymphadénectomie est justifiée en cas d’adénopathie persistante.3,18
Les escarres malignes sont la forme la plus agressive de l’ulcère de Marjolin, avec une période de latence plus courte et une évolution plus progressive.20,27 La plupart des carcinomes d’escarres se forment dans les zones sacrées et iliaques.10 Ces zones ont un riche drainage lymphatique vers la région pelvienne, ce qui explique le taux élevé de métastases.10 Le mauvais pronostic et le taux élevé de métastases soulignent l’importance d’éviter un diagnostic ou un traitement tardif.4,8,10 Il y a peu d’arguments en faveur d’une chimiothérapie adjuvante dans les ulcères de Marjolin,27 mais la radiothérapie a été utilisée comme palliatif.28
Les patients paraplégiques qui développent de grandes escarres sacrées et ischiatiques ont souvent aussi une ostéomyélite sous-jacente.4 Il est important de distinguer si l’érosion osseuse est due à une infection ou à une tumeur. Les déficits en tissus mous qui se produisent après une excision large des tumeurs malignes sacrées sont souvent trop importants pour être reconstruits avec des lambeaux conventionnels.4 Diverses modifications des lambeaux de cuisse totale ou des lambeaux de filet de jambe peuvent fournir des tissus adéquats pour la fermeture de la plaie.4,8,29,30 Rarement, une hémicorporectomie est indiquée. Cette procédure a un taux de morbidité élevé et nécessite des soins de soutien à vie, mais elle peut être le seul espoir de guérison dans le cas d’une maladie locale avancée sans métastases à distance.8,31