La quintessence de la chanson française mondaine et de l’homme de danse, Maurice Chevalier était l’un des artistes les plus appréciés du 20ème siècle, enchantant les publics du monde entier au cours d’une carrière de cinq décennies qui a englobé le vaudeville, l’opéra léger, les films et les concerts. Toujours vêtu d’un smoking et d’un canotier de paille, Chevalier chantait des chansons d’amour avec un accent gaulois mielleux qui lui valait la sympathie des spectateurs de théâtre dans les années 1920, avant de se lancer dans le cinéma muet. Hollywood l’attire au début des années 1930, et il connaît une série de succès musicaux, dont « Love Me Tonight » (1932), avant de rentrer en France avant la Seconde Guerre mondiale. Des allégations de collaboration avec les nazis pèsent sur sa carrière pendant les années 1940, mais il revient plus populaire que jamais à la fin des années 1950, grâce à « Gigi » (1958), qui lui vaut un Oscar spécial. Chevalier continuera d’essayer des grands-pères courtois jusqu’à sa retraite en 1968. Sa mort en 1972 marque la fin d’une vie charmante, consacrée à répandre l’évangile de l’amour et du bonheur à travers une chanson, un sourire et un coup de chapeau.
Né Maurice Auguste Chevalier le 12 septembre 1888, il était le plus jeune des neuf enfants de son père, peintre en bâtiment, et de sa mère belge. Leur père ayant souvent du mal à trouver un travail stable, Chevalier quitte l’école à l’âge de 11 ans pour aider à subvenir aux besoins de la famille grâce à une grande variété de petits boulots – d’apprenti charpentier à imprimeur en passant par peintre de poupées. En 1901, il entre dans le monde du spectacle avec l’un de ses frères comme acrobate, mais il subit une grave blessure qui l’oblige à chercher un emploi moins dangereux dans le domaine du divertissement. Chevalier commence à chanter dans des cafés, où il compense son poids plume en ajoutant une touche de comédie ironique à sa prestation. Il a commencé à se produire dans des revues théâtrales locales, où il a développé un public ardent.
En 1909, il a fait équipe avec le célèbre mais tragique chanteur de music-hall Fréhel dans une relation professionnelle qui s’est rapidement transformée en romance. Ses addictions chroniques à la drogue et à l’alcool l’obligent à rompre ses liens avec elle en 1911. Chevalier s’associe ensuite avec Mistinguett, l’une des chanteuses françaises les plus populaires du début du XXe siècle. Leur collaboration donne à sa carrière l’élan dont elle a besoin, mais en 1914, il est envoyé au front pour défendre la France pendant la Première Guerre mondiale. Chevalier est blessé et capturé au cours des premières semaines de combat, et passe les deux années suivantes comme prisonnier de guerre en Allemagne. Pendant son emprisonnement, il a appris à parler l’anglais auprès de ses compagnons de détention britanniques avant d’être libéré en 1916, apparemment grâce à l’intervention du roi Alphonse XIII d’Espagne, qui était un fervent admirateur de Mistinguett. Pour son service à son pays, Chevalier a été décoré de la Croix de Guerre.
A son retour à la vie civile, l’étoile de Chevalier a repris son ascension grâce à ses célèbres apparitions au Casino de Paris. C’est là qu’il a créé son personnage de scène emblématique : le jovial gaulois en smoking et chapeau de paille, chantant des chansons d’amour, ainsi que du jazz et du ragtime avec un charme espiègle et une touche d’humour osé. Il apparaît bientôt dans des films muets, mais aucun n’égale le succès qu’il avait connu avec sa carrière au music-hall. En 1920, Douglas Fairbanks lui propose de faire ses débuts à Hollywood, mais il n’accepte pas, invoquant le manque d’enthousiasme suscité par ses films en France. Deux ans plus tard, il remporte l’un des plus grands succès de sa carrière avec l’opérette « Dédé », qui le mène à Broadway. Devenu une vedette célèbre en Amérique, il signe un contrat avec la Paramount Pictures et fait ses débuts au cinéma américain dans la comédie musicale « Innocents of Paris » (1929). La même année, il joue dans « The Love Parade » d’Ernst Lubitsch, la première de ses quatre collaborations à l’écran avec la chanteuse et actrice Jeanette MacDonald. La performance de Chevalier, marquée par l’accent français exagéré qu’il prendra pour ses rôles anglophones – hors caméra, son anglais est plus sobre – lui vaudra une nomination aux Oscars. Il réitérera ce triomphe personnel l’année suivante pour « The Big Pond » (1930). Ce dernier film sera également remarqué pour lui avoir fourni deux chansons emblématiques, « Livin’ in the Sunlight, Lovin’ in the Moonlight » et « You Brought a New Kind of Love to Me », que les Marx Brothers parodieront plus tard dans « Monkey Business » (1930).
Chevalier connaîtra de nombreux succès à Hollywood, dont le plus notable est « Love Me Tonight » (1932), sa troisième collaboration avec MacDonald après « One Hour with You » en 1932. Ce film, réalisé par Rouben Mamoulian et comportant des chansons de Richard Rogers et Lorenz Hart, a marqué l’évolution des comédies musicales hollywoodiennes en intégrant ses chansons et ses dialogues, au lieu de présenter son histoire comme un cadre pour des numéros musicaux indépendants. La dernière collaboration Chevalier-MacDonald a lieu en 1934 avec « The Merry Widow », la première adaptation anglaise de l’opérette allemande de Franz Lehar. L’année suivante, Chevalier quitte la Paramount pour la MGM et retourne en France, où il reprend sa carrière sur scène tout en apparaissant dans des films en France et en Angleterre.
Chevalier jouait sa revue au Casino du Paris lorsque les forces allemandes ont occupé la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Les nazis lui ont demandé de chanter à Berlin, ce qu’il a refusé, mais il a finalement donné un spectacle pour les prisonniers de guerre en Allemagne. Après la libération de la France par les Alliés en 1944, des rumeurs ont commencé à circuler dans la presse anglophone selon lesquelles la prestation de Chevalier constituait une collaboration avec l’ennemi. Bien qu’un tribunal français l’ait innocenté, sa réputation en Amérique a été ruinée, et il ne mettra plus les pieds aux États-Unis pendant plusieurs années.
Chevalier reprend sa carrière cinématographique en 1947, apparaissant principalement dans des longs métrages européens. Son statut de persona non grata aux États-Unis s’est poursuivi pendant une autre décennie, exacerbé en partie par sa participation à l’Appel de Stockholm, un document de 1950 signé par d’innombrables personnalités du monde scientifique et du spectacle qui appelait à une interdiction absolue des armes nucléaires. Sa signature de l’Appel n’a pas été bien accueillie par les mouvements anticommunistes croissants en Amérique, et sa demande de visa pour visiter le pays a été refusée en 1951. Mais le déclin du maccarthysme au milieu des années 1950 rétablit la réputation de Chevalier en tant que divertissement apprécié à l’échelle mondiale, et il montera sa première tournée nationale aux États-Unis en 1955.
Sa première vedette hollywoodienne en plus de deux décennies est venue avec « L’amour dans l’après-midi » de 1957, une comédie quelque peu adulte de Billy Wilder avec Audrey Hepburn et Gary Cooper en amants improbables. L’année suivante, Chevalier partage l’affiche de « Gigi » (1958) dans le rôle d’un roué vieillissant mais toujours charmant qui aide à négocier une romance entre l’innocente insouciante de Leslie Caron et son neveu blasé (Louis Jordan). Parmi les brillantes chansons du film, signées Alan Jay Lerner et Frederick Loewe, figure « Thank Heaven for Little Girls », qui deviendra l’une des chansons phares de Chevalier. La communauté hollywoodienne est tellement charmée par sa prestation dans « Gigi » que la Motion Picture Academy lui décerne un Oscar d’honneur. Le succès du film donnera le ton des longs métrages suivants de Chevalier, qui le verra jouer des aînés sages et affirmant leur vie dans « Can-Can » (1960) face à Frank Sinatra et « Fanny » (1961), qui le réunira avec Leslie Caron.
Chevalier maintient un calendrier de films haletant entre 1960 et 1963, qui comprend notamment « A la recherche des naufragés » (1962) de Walt Disney Pictures. Il donnera son dernier tour d’acteur pour la compagnie dans une comédie en prise de vue réelle peu remarquable intitulée « Monkeys Go Home ! ». (1965). Trois ans plus tard, après deux importantes tournées mondiales et un Tony Award spécial pour sa contribution au théâtre, Chevalier, âgé de 80 ans, annonce sa retraite. En 1970, les auteurs Richard et Robert Sherman l’attirent à nouveau pour une dernière chanson, le titre de « The Aristocats », un film d’animation félin qui se déroule dans le Paris du début du siècle. Après une opération chirurgicale pour une affection rénale, Chevalier mourra dans sa ville bien-aimée le 1er janvier 1972.
Par Paul Gaita