Dans une entreprise typique, le passage des rênes d’une génération à l’autre donne lieu à une fête de départ à la retraite, une montre en or, quelques discours lapidaires. Mais Hennessy n’est pas n’importe quelle entreprise, et le maître-mélangeur de cognac Yann Fillioux n’est pas n’importe quel employé. Depuis plus de 200 ans, la famille Fillioux et la famille Hennessy travaillent ensemble pour faire de Hennessy le cognac le plus vendu au monde. Yann, qui a commencé à travailler chez Hennessy en 1966 et est devenu maître-assembleur en 1991, n’est que le septième maître-assembleur de l’histoire de la marque. Son successeur trié sur le volet, Renaud Fillioux de Gironde – qui est aussi son neveu – travaille au Comité de Dégustation depuis 2002, mais pour devenir maître-assembleur, il doit suivre un apprentissage rigoureux auprès de son oncle. C’est un processus à durée indéterminée, ce qui signifie que Yann ne quittera pas son poste tant qu’il ne pensera pas que Renaud est prêt.
En guise de couronnement de sa longue carrière, Yann – avec la contribution de Renaud et du PDG d’Hennessy, Bernard Peillon – a créé ce qui pourrait être le cognac le plus spectaculaire de l’histoire de la marque. Hennessy dispose d’énormes stocks dans lesquels il peut puiser, remontant jusqu’à 1800, et huit des plus beaux et des plus importants sur le plan historique ont été utilisés dans le nouveau mélange, appelé à juste titre Hennessy 8. Ce chiffre célèbre le fait que Renaud est devenu la huitième génération de la famille Fillioux à atteindre le statut de maître assembleur. Ce chiffre est remarquable non seulement parce que la plupart des cognacs sont assemblés à partir de dizaines d’eaux-de-vie, mais aussi parce que les huit créations des maîtres-assembleurs – dont certaines ont plus de 200 ans – sont représentées dans l’assemblage. C’est pratiquement toute l’histoire de la marque dans une bouteille.
Le rôle du Master Blender dans la fabrication du cognac ne comprend pas la distillation proprement dite de l’eau-de-vie, l’alcool non vieilli à base de raisin qui devient légalement et esthétiquement du cognac après un minimum de deux ans en chêne français. Mais c’est son travail, avec le comité de dégustation, de déterminer quelles eaux-de-vie sont dignes de devenir des cognacs Hennessy – et lesquelles ont le potentiel d’être exceptionnelles. « Notre travail à ce stade, au tout début du processus, est d’être capable de voir le potentiel », explique Renaud. « On met les eaux-de-vie dans les meilleures conditions, et on va les suivre et les regoûter chaque année, pour voir comment elles évoluent. Et c’est ainsi que l’on se retrouve parfois, après 50, 70, 100 ans, avec une vraie grande eau-de-vie. Mais c’est une sur 1 000, une sur 10 000 ». À la fin du processus, le maître-assembleur et le comité de dégustation décident quand chaque cognac a atteint sa maturité maximale. C’est ensuite au maître-assembleur qu’il revient de mélanger des cognacs d’âges et d’intensités différents pour créer le produit final, qu’il s’agisse du Hennessy VS d’entrée de gamme ou d’un embouteillage unique comme le Hennessy 8.
Avec un emballage aussi monumental et une histoire aussi fascinante, le liquide lui-même peut sembler presque trop précieux pour être bu. Mais quiconque l’achète pour collectionner ou comme investissement y perdra, car Hennessy 8 est un cognac extraordinaire. De nombreux cognacs extra-vieillis peuvent avoir un goût âpre et trop boisé, mais celui-ci est une révélation : sec, avec un boisé épicé distinct, mais magnifiquement équilibré avec des notes vibrantes de raisin et de fruits noirs. Il est riche, lisse et velouté sur la langue, un cognac tout à fait élégant.
La bouteille devait rendre justice au liquide qu’elle contenait, et Hennessy a donc fait appel à l’artiste et designer industriel de renom Arik Levy, qui avait déjà travaillé sur des projets spéciaux pour Moët Hennessy. Le résultat est une bouteille si extraordinaire qu’il est difficile de la regarder, même en personne. La carafe est encastrée dans huit anneaux (les anneaux et la carafe sont en cristal de Baccarat) qui sont soigneusement travaillés pour s’adapter à la bouteille comme s’ils étaient collés. Le coffret dans lequel la bouteille est enfermée est fabriqué à partir de 25 couches de chêne (une pour chaque décennie de l’histoire de Hennessy) provenant de douelles produites dans la tonnellerie de Hennessy. L’étonnante incrustation de cuivre à l’intérieur du coffre, qui ressemble à un alambic traditionnel, dégage une lueur spectaculaire. Quatre verres de dégustation, une pipette fabriquée à partir du chêne utilisé pour les barriques et un porte-bouchon complètent l’ensemble.
Un ensemble aussi élaboré, présentant des cognacs aussi rares, n’est pas destiné au buveur occasionnel ; seules 250 bouteilles sont produites dans le monde, et Hennessy a clairement indiqué qu’il s’agissait d’une production unique. L’édition initiale de 100 bouteilles, chacune accompagnée d’un certificat numéroté signé par Yann Fillioux, est vendue à environ 39 000 dollars la bouteille. Mais pour un véritable aficionado du cognac, ce produit vaut tous les prix. Rarement, sinon jamais, un seul cognac ne reflète autant l’histoire de la marque et ne montre la voie de l’avenir simultanément. Comme le dit Yann, « Personne d’autre n’a la capacité de faire un tel mélange ».