Ce chapitre répond à des parties de la section B(ii) du syllabus primaire du CICM 2017, qui attend du candidat à l’examen qu’il « décrive l’absorption et les facteurs qui vont l’influencer ». Si l’on devait nommer le plus important de ces facteurs qui vont l’influencer, on devrait nommer le coefficient de partage lipide-eau, qui est déterminé par le pKa du médicament et le pH des fluides corporels.

Pour faire simple, en solution, les acides et les bases faibles seront présents sous une certaine combinaison de formes ionisées et non ionisées. Parmi ces substances incomplètement ionisées, les formes non ionisées seront solubles dans les lipides, alors que les formes ionisées ne le seront pas. La proportion des molécules ionisées par rapport aux molécules non ionisées est déterminée par le pH de la solution et le pKa du médicament (le pKa étant le pH auquel la concentration des formes ionisées et non ionisées est égale).

Pour le dire encore plus simplement :

Une substance deviendra plus soluble dans les lipides dans une solution dont le pH est similaire à son propre pH.

  • Un acide faible est plus soluble dans les lipides dans une solution acide
  • Une base faible est plus soluble dans les lipides dans une solution alcaline.
  • Un acide faible est plus soluble dans l’EAU dans une solution alcaline
  • Une base faible est plus soluble dans l’EAU dans une solution acide.

Le candidat à l’examen déterminé qui recherche la littérature publiée détaillée sur ce sujet trouvera généralement une profondeur satisfaisante dans n’importe quel manuel majeur de pharmacologie. Goodman et Gilman consacrent environ une demi-page à ce sujet. Le livre Pharmacology Made Easy de Birkett n’aborde pas ce sujet, sauf dans la section sur la clairance rénale (p.67) où l’interaction entre le pKa et le pH est discutée dans le contexte de la clairance rénale. Parmi les articles publiés, l’aperçu le plus complet disponible semble être « Acidic and basic drugs in medicinal chemistry » de Charifson et Walters (2014), auquel ce chapitre emprunte largement.

Relation entre le pKa des médicaments et le pH des fluides corporels : la théorie de la partition du pH

Pour être plus scientifique, le rapport entre les molécules dissociées polaires et les molécules non dissociées non polaires est décrit par l’équation de Henderson-Hasselbalch :

Équation de Henderson-Hasselbach pour la dissociation des médicaments

Plus le pKa est élevé, plus l’acide est fort ( plus il est dissocié en protons). Un acide faible sera neutre jusqu’à ce qu’il se dissocie en un ion chargé négativement (anion) et un proton. Tant qu’il s’accroche à son proton, il est encore neutre et donc soluble dans les lipides. Dans un environnement alcalin, il y a peu de protons, et l’acide aura tendance à en donner, devenant ainsi ionisé et perdant sa solubilité lipidique.

Pour avoir une excuse pour jouer avec Illustrator, cette relation peut être présentée comme une série de tubes translucides remplis de fluide. Ce diagramme illustre l’effet d’un changement de pH sur la solubilité lipidique d’un acide faible.

Relation entre le pH et le pKa pour la solubilité lipidique-eau des médicaments

Sachant que de nombreux médicaments sont soit des acides faibles, soit des bases faibles, ils seront soit chargés, soit non chargés dans des solutions de pH différent. En général, le pH du liquide extracellulaire se situe toujours à quelques fractions décimales de 7,4, et les médicaments dont le pKa est inférieur à 7 (c’est-à-dire les acides faibles) sont généralement solubles dans l’eau. Les médicaments faiblement basiques, avec un pKa plus proche de 8, seront généralement liposolubles et auront donc plus de facilité à négocier les membranes de barrière sur leur chemin vers leur cible.

Ce concept de pH et de pKa étant lié à la lipophilie et à la vitesse/étendue de la pénération membranaire est appelé la « théorie du pH-partition ». Cependant, elle ne décrit pas tous les cas possibles. Par exemple, les zwitterions (molécules neutres hermaphrodites avec des groupes polaires positifs et négatifs) pénètrent les bicouches lipidiques en se présentant « de côté » à la membrane hydrophobe, apparaissant ainsi comme des molécules neutres non polaires pendant leur passage. On pense que les fluoroquinolones ont un accès intracellulaire de cette manière (Cramariuc et al, 2012). En outre, certaines substances ionisées sont présentes à des concentrations si élevées qu’elles sont capables de traverser la bicouche lipidique purement par la force brute de leur gradient de concentration (l’exemple classique est l’eau : la concentration d’eau dans l’eau pure est de 55,5 mol/L).

Les valeurs de pKa des médicaments courants

Charifson et Walters (2014) présentent un excellent graphique (reproduit ci-dessous sans aucune permission) pour démontrer la distribution des valeurs de pKa à travers les substances couramment utilisées. Ils ont sélectionné tous les médicaments disponibles dans ChEMBL et DrugBank, à condition qu’ils soient constitués d’au moins 10 « atomes lourds », qu’ils aient un poids moléculaire supérieur à 1000 et qu’ils contiennent un bouquet d’éléments raisonnablement conventionnel (pas de lanthanides ou quoi que ce soit). L’ensemble de données final a abouti à une collection de 1778 médicaments.

Les auteurs sont allés plus loin encore en analysant la distrubition du pKa en fonction de la classe de médicaments, de la voie d’administration, des mécanismes de clairance, et ainsi de suite. Des graphiques magnifiquement colorés ont été produits. Le candidat à l’examen curieux disposant de ressources temporelles infinies est dirigé vers l’article original pour plus de détails, mais les résultats de base consistaient en plusieurs grandes tendances :

Propriétés générales des médicaments en fonction de leur pKa

Les médicaments acides ont tendance à …

  • avoir une biodisponibilité orale plus élevée
  • avoir une moins bonne clairance hépatique
  • avoir une plus grande liaison aux protéines
  • avoir de plus petits volumes de distribution

Les médicaments basiques ont tendance à….

  • avoir une moins bonne liaison aux protéines
  • avoir de plus grands volumes de distribution
  • avoir une meilleure pénétration dans le SNC
  • avoir une « promiscuité avec les récepteurs », c’est-à-dire. une sélectivité diminuée
  • sont séquestrés dans les organelles acides, notamment les mitochondries
  • sont mieux absorbés dans l’estomac

En général, on a constaté qu’il y a plus de médicaments basiques parmi les agents qui ciblent les récepteurs membranaires et les transporteurs, alors que ceux qui ciblent les enzymes et les canaux ioniques ont tendance à être plus neutres.

Pour s’amuser, on peut construire un petit tableau des médicaments basiques et acides courants :

Acide faible (pKa)

  • Levodopa (2,3)
  • Amoxycilline (2,4)
  • Aspirine (3.5)
  • Céphalexine (3,6)
  • Frusémide (3,9)
  • Warfarin (5,0)
  • Acétazolamide (7.2)
  • Phénytoïne (8,4)
  • Théophylline (8,8)

Base faible (pKa)

  • Diazépam (3.0)
  • Lignocaïne (7,9)
  • Codéine (8,2)
  • Cocaïne (8,5)
  • Adrénaline (8.7)
  • Atropine (9,7)
  • Amphetamine (9,8)
  • Metoprolol (9,8)
  • Methyldopa (10.6)

Piégeage des ions

Les effets de piégeage se produisent lorsque les médicaments traversent une membrane lipidique et pénètrent dans une zone dont le pH est significativement différent de celui qu’ils occupaient précédemment. Le changement de pH peut soudainement rendre le médicament plus ionisé et donc moins lipophile. Incapables de traverser la membrane dans le sens inverse, les molécules de médicament ionisées vont se concentrer dans cette solution ionisante, un phénomène connu sous le nom de « piégeage ionique ».

L’utilisation de ce phénomène en toxicologie est probablement l’application clinique la plus intéressante du concept. Il s’agit d’une méthode d’augmentation de la clairance des médicaments qui repose sur le principe que l’urine alcaline favorise l’excrétion des acides faibles et que l’urine acide favorise l’excrétion des bases faibles. De cette façon, on nous demande d’alcaliniser l’urine pour favoriser l’excrétion des acides faibles tels que le salicylate et l’urate.

Il n’y a pas que l’urine. Le pH des fluides corporels natifs des sécrétions vaginales/prostatiques, le suc gastrique et le lait maternel peuvent tous provoquer un effet de piégeage, concentrant les molécules de médicaments. De même, les environnements acides des abcès peuvent interférer avec la polarité des anesthésiques locaux, les rendant moins liposolubles et donc moins efficaces.

Encore sans autre raison que l’amusement, l’auteur conclura par une liste de fluides corporels et leurs valeurs de pH respectives afin que les esprits curieux puissent créer des expériences de pensée explorant les effets de piégeage des ions qui pourraient avoir lieu à l’interface du sang, de la salive, de l’acide gastrique, du sperme et de l’humeur vitreuse. Selon la personne échantillonnée et le manuel que vous lisez, ces valeurs peuvent être légèrement différentes.

Fluides corporels acides (pH)

  • Acide gastrique (1.5)
  • Vagin préménopausé (4,5)
  • Lysosomes cellulaires (4,5)
  • Duodénum (5,5)
  • Surface de la peau (5.5)
  • Urine (5.8)
  • Salive (6.4)
  • Lait maternel (6.6)
  • Sueur (6.8)
  • Fluide intracellulaire (6,8)

Fluides corporels alcalins (pH)

  • Vagin post-ménopausique (7.0)
  • Fécès (7,1)
  • Semen (7,2)
  • CSF (7,3)
  • Sang (7.4)
  • Fluide lymphatique (7.4)
  • Larmes (7.4)
  • Matrice mitochondriale (7.5)
  • Ileum (8.0)
  • Sécrétions pancréatiques (8. 0)
  • Bile (8. 5)

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