Les tachyarythmies fœtales surviennent chez environ 0,4 à 0,6 % de tous les fœtus.1-3 Les fréquences cardiaques fœtales normales varient entre 120 et 160 battements par minute (bpm), les fréquences supérieures à 180 bpm indiquant une tachycardie.4-7 En général, les arythmies fœtales sont des observations isolées ; cependant, 5 % des fœtus présentent également une cardiopathie congénitale8,9, telle que l’anomalie d’Ebstein, le canal auriculo-ventriculaire, le syndrome du cœur gauche hypoplasique ou des tumeurs intracardiaques. Si la plupart des arythmies sont intermittentes, les arythmies plus persistantes peuvent entraîner une insuffisance cardiaque fœtale ou une anasarque fœtale non immune4,10 ; l’évolution vers l’anasarque peut être observée dans jusqu’à 40 % des cas de tachycardie soutenue11. L’anasarque se manifeste par des fréquences ventriculaires supérieures à 230 bpm qui durent plus de 12 heures.2,5,12 Les premiers signes échocardiographiques d’atteinte hémodynamique sont l’hypertrophie biatriale et la régurgitation valvulaire auriculo-ventriculaire ; les observations ultérieures sont la cardiomégalie et la diminution de la fonction systolique. Le diagnostic d’anasarque est posé par la constatation échocardiographique d’une ascite, d’un épanchement péricardique, d’un épanchement pleural et d’un œdème sous-cutané. Le pronostic de l’anasarque associée à l’arythmie fœtale est mauvais, la mortalité pouvant atteindre 50 à 98 %,4,13 alors qu’elle est de 0 à 4 % dans les cas ne présentant aucun signe de défaillance significative.6
Le principal objectif de la thérapie fœtale est la prévention ou la résolution de l’anasarque.14,15 On peut y parvenir par la conversion au rythme sinusal ou le contrôle de la fréquence ventriculaire.8,12,16 L’utilisation de l’échocardiographie fœtale, du mode M et du Doppler à ondes de pouls a permis d’améliorer le diagnostic des arythmies fœtales et reste la pierre angulaire du diagnostic.1,6 La magnétocardiographie fœtale, une méthode non invasive de diagnostic des arythmies fœtales complexes, est disponible dans un nombre limité de centres.1,8
La thérapie médicale initiale est délivrée par voie transplacentaire en administrant des médicaments à la mère par voie orale ou intraveineuse. En cas d’échec du traitement transplacentaire, il existe d’autres modalités (c’est-à-dire des thérapies fœtales directes) de traitement, notamment des injections fœtales intramusculaires, intra-amniotiques, intra-péritonéales, intra-ombilicales et intra-cardiaques.14 La mortalité est plus élevée chez les fœtus qui subissent ces procédures;16 on ne sait pas si l’augmentation de la mortalité est due à la procédure ou à la gravité de l’état sous-jacent.14
La cardioversion réussie vers le rythme sinusal se produit dans une proportion de 65 à 95 %, habituellement une semaine après le début du traitement chez le fœtus hydropique,13 ou dans les 48 heures chez le fœtus non hydropique ; le pronostic à long terme après la cardioversion est bon.5 Des complications neurologiques ont été signalées en période postnatale chez les fœtus hydropiques, peut-être liées à des périodes d’ischémie cérébrale associées à l’hypotension9,13,18.
Tachycardie supraventriculaire
La tachycardie supraventriculaire (TSV), la tachyarythmie fœtale la plus courante, représente 70 à 80 % des tachycardies fœtales.7 Elle est souvent diagnostiquée vers 28-32 semaines d’âge gestationnel mais peut être observée plus tôt5,7. En général, le mécanisme de la TSV est une tachycardie auriculo-ventriculaire rentrante (TAVR) provenant d’une voie accessoire, les voies gauches étant les plus fréquentes.7 Des voies multiples peuvent être observées dans la vie prénatale,5,7 et on a constaté que 25 % des fœtus présentaient une pré-excitation après la naissance.6,7 L’échocardiogramme révèle une conduction auriculo-ventriculaire 1:1 avec un intervalle VA court.4-7,19 La fréquence de la TSV est généralement supérieure à 250 bpm et est régulière,5 avec une faible variabilité d’un battement à l’autre. Ce rythme peut être intermittent (voir la figure 1) ou incessant, entraînant une anasarque fœtale.5 La mortalité globale pour une TSV fœtale soutenue est de 8,9 %,7,11 et elle est plus élevée chez les fœtus hydropiques.5
Le traitement de première intention chez un fœtus non hydropique est la digoxine;4,8,10,14,17,19,20 cependant, chez les fœtus hydropiques, son utilité est limitée.21 La digoxine (catégorie de grossesse C) agit en augmentant la réfractarité du nœud AV8 et son effet thérapeutique est dû à ses effets chronotropes négatifs et inotropes positifs.11,14 Les fœtus dont la fonction ventriculaire est faible peuvent ne pas bien répondre à la digoxine. Les taux de digoxine chez le fœtus sont inférieurs à ceux de la mère, en raison de l’absorption variable, du grand volume de distribution et de la clairance rapide du médicament4,7,8. La mère doit être traitée avec des doses thérapeutiques élevées de digoxine, ce qui peut entraîner des effets secondaires maternels, notamment des troubles gastro-intestinaux et du SNC, et des arythmies cardiaques (battements prématurés, bloc AV).8,14,20 La thérapie fœtale intramusculaire à la digoxine s’est également avérée efficace pour traiter le fœtus hydropique réfractaire.5,7
Le propranolol (catégorie de grossesse C), un β-bloquant, est principalement utilisé en thérapie combinée. Le mécanisme d’action est d’augmenter la réfraction du nœud AV.20 En tant qu’inotrope négatif, la fonction ventriculaire peut être affectée.4 Les effets secondaires comprennent l’hypoglycémie et le faible poids de naissance.7,20 L’amiodarone (catégorie de grossesse D), un anti-arythmique de classe III bloquant les canaux sodiques, potassiques et calciques,8 a été utilisé avec succès pour traiter la tachycardie fœtale avec hydrops associé.8,14,16 Elle a été utilisée seule et en association avec la digoxine et/ou le sotalol.22
L’effet secondaire le plus fréquent, l’hypothyroïdie fœtale, est généralement transitoire et traitable sans complications à long terme.7,22 Les autres effets secondaires signalés sont la thrombocytopénie et les éruptions cutanées.8 Souvent, l’amiodarone est administrée par voie transplacentaire, mais elle a été utilisée dans le cadre d’un traitement direct du fœtus.7,20 Aucun décès n’a été signalé lors de l’administration d’amiodarone en monothérapie ; cependant, des cas de décès intra-utérins ont été rapportés avec l’amiodarone et le flécanide.22 Le flécanide (catégorie de grossesse C) agit sur les voies accessoires, bloquant la conduction par les canaux sodiques.4,8 Il est efficace dans la population hydropique.10 Certaines institutions utilisent le flécanide comme traitement de première intention, avec ou sans digoxine, pour ce groupe.13,17,19 L’excellente biodisponibilité pour le fœtus,14 même en présence d’une anasarque, rend le flécanide intéressant pour le traitement transplacentaire. On a signalé des cas de décès fœtal chez des patientes traitées au flécanide, mais on ne sait pas si la cause du décès était la proarythmie ou la gravité de l’insuffisance cardiaque.14 Le flécanide doit être évité en cas de flutter auriculaire fœtal et chez les mères présentant une cardiopathie structurelle ou ischémique, une cardiomyopathie ou une bradycardie.8 Les principaux effets secondaires sont la proarythmie maternelle et l’allongement du QRS.8,20 La procaïnamide (catégorie de grossesse C) agit également au niveau de la voie accessoire, plus précisément en bloquant les canaux sodiques et potassiques. Il a également été essayé chez les fœtus hydropiques ; cependant, le procaïnamide est un irritant utérin et peut entraîner un travail prématuré.4,7 On a signalé l’utilisation d’adénosine intra-cordale (catégorie de grossesse C). Elle a été utilisée à la fois à des fins diagnostiques (pour démasquer le flutter auriculaire3) et thérapeutiques. On s’inquiète de la contraction dose-dépendante des vaisseaux placentaires avec une réduction potentielle du flux sanguin.4
Flutter auriculaire
Le flutter auriculaire (FA), deuxième tachyarythmie la plus fréquente,11 représente 25 % des tachyarythmies fœtales.5 Le moment typique de présentation se situe autour de la 32e semaine d’âge gestationnel, mais peut être noté à l’accouchement.5 Le mécanisme électrophysiologique de la tachycardie est une macro-réentrée intra-atriale, similaire à la LFA de l’adulte.6 La mortalité globale de la LFA est de 8 %,11 mais peut atteindre 30 % chez le fœtus hydropique.
Le diagnostic est posé en présence d’une fréquence auriculaire rapide et régulière d’environ 400bpm avec une conduction AV variable. Chez 80 % des patients, la conduction est de 2:111 (voir la figure 2), ce qui entraîne des fréquences ventriculaires de 200bpm.4 Le LFA peut évoluer vers un bloc 3:1, ou alternativement développer une conduction 1:1 intermittente.1 Le rythme est irrégulier et persistant, et est associé à une anasarque fœtale dans 7-43 % des cas.1 Le LFA peut être associé à une cardiopathie congénitale ou à des anomalies chromosomiques.5
Comme pour le traitement de la TSV fœtale, la digoxine est utilisée comme traitement de première intention pour le LFA fœtal non hydropique.11 Des études ont montré que le sotalol (catégorie de grossesse B ; classe anti-arythmique III) est efficace pour le traitement du LFA fœtal,2,6 et moins efficace pour la TSV. Il ne contribue pas au retard de croissance intra-utérin.18 Les effets secondaires comprennent des arythmies ventriculaires, en particulier des torsades de pointes.8 Le sotalol a moins d’effets inotropes négatifs que d’autres β-bloquants,23 et traverse facilement le placenta, reflétant des niveaux sanguins fœtaux dans un rapport 1:1 avec les niveaux maternels.2,14
Autres tachycardies 1:1 A:V
La tachycardie auriculaire ectopique (TAE) est une tachycardie automatique rare causée par un foyer auriculaire ectopique générant des impulsions plus rapidement que le nœud SA.4,6,8,12 Les fréquences typiques varient de 210 à 250bpm.6,12 Elle présente un phénomène de » réchauffement » caractéristique avec une accélération de la fréquence.7 La TAE est plus difficile à contrôler que la RVA ; un traitement médical combiné est souvent utilisé. La tachycardie alternative jonctionnelle persistante (TACJ) est une forme lente de TAVR. La voie accessoire présente une conduction rétrograde très lente6 avec l’association atrio-ventriculaire obligatoire 1:1 habituelle observée dans la TAVR plus rapide.7 Cette arythmie peu commune a des fréquences d’environ 180-220bpm.7,8 Comme elle est généralement incessante, l’anasarque peut être associée à cette arythmie. La tachycardie ectopique jonctionnelle congénitale (TECJ), une tachyarythmie rare chez les fœtus, est une tachycardie plus lente mais incessante dont la fréquence est de 180-200 bpm20. Cette arythmie peut être 1:1 ou avoir une fréquence ventriculaire plus rapide que la fréquence auriculaire et peut avoir une occurrence familiale.24
Tachycardie ventriculaire (VT)
La VT fœtale est également assez rare,11 avec des fréquences ventriculaires de 170-400bpm. Souvent, la dysfonction ventriculaire est plus importante que celle observée en cas de TAV.7 Il existe une dissociation auriculo-ventriculaire avec une fréquence ventriculaire plus rapide que la fréquence auriculaire.4 La TV est généralement paroxystique et peut être observée pendant le travail;1,4 elle peut être associée à une myocardite, un bloc cardiaque complet ou un syndrome du QT long congénital.7 Le pronostic dépend du mécanisme sous-jacent. Le propranolol et l’amiodarone ont été utilisés pour traiter la TV fœtale. La lidocaïne intraveineuse (catégorie de grossesse B) a été utilisée avec un certain succès,4,7 et le magnésium (catégorie de grossesse A) a été signalé pour le traitement des torsades fœtales.7
Conclusion
Le diagnostic de la tachycardie fœtale dépend de l’évaluation échographique précise de la fréquence cardiaque fœtale et des relations entre l’oreillette et le ventricule.Le traitement est choisi en fonction de la présence ou de l’absence d’anasarque ainsi que du mécanisme présumé de la tachycardie. Le pronostic à long terme de la tachycardie fœtale, malgré la gravité de la maladie au moment de la présentation, est bon, surtout si la conversion ou le contrôle de la fréquence cardiaque peut être obtenu in utero21 et si l’anasarque est évitée. L’accouchement prématuré d’un fœtus hydropique est presque universellement fatal et doit être évité. L’objectif du traitement anti-arythmique fœtal est l’accouchement à terme d’un bébé non hydropique.